Le gouvernement du Yukon viole les droits des travailleurs occasionnels

17 novembre 2022

Les employés occasionnels du gouvernement du Yukon et leur droit fondamental à la liberté d'association

Au Yukon, il existe une catégorie de travailleurs précaires à qui la loi interdit actuellement d'adhérer à un syndicat. Ils ne sont pas protégés contre le licenciement sans motif valable, ils ne peuvent pas déposer de grief et leur employeur n'est jamais obligé d'écouter leur demande d'amélioration des salaires ou des avantages sociaux. Le salaire minimum ne leur est même pas garanti, ni aucune autre disposition de la Loi sur les normes d'emploi du Yukon.

Il s'agit du nombre croissant d'employés occasionnels travaillant pour le gouvernement du Yukon.

Nous ne connaissons peut-être pas le nombre exact d'employés occasionnels travaillant pour le gouvernement du Yukon, mais selon toutes les indications anecdotiques, ce nombre est considérable.

De plus, bien que la Loi sur la fonction publique limite le nombre d'employés occasionnels à un maximum de deux mandats de six mois, on nous a rapporté que des employés occasionnels travaillaient plus que cela, avec de courtes " pauses de service " entre chaque mandat.

Les employés occasionnels sont moins chers à utiliser que les employés permanents. Leur salaire n'augmente pas, leurs avantages sociaux sont inexistants, et s'ils se plaignent, ils peuvent être renvoyés immédiatement sans aucun recours. Le gouvernement du Yukon peut utiliser les employés occasionnels, moins chers, pour éviter d'avoir à recruter des employés permanents, plus coûteux, et pour éviter la douleur politique d'augmenter le nombre d'employés officiels du gouvernement.

Mais voici une bonne nouvelle : la situation actuelle des employés occasionnels du Yukon semble violer la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier leur droit à la liberté d'association, article 2(d).

En 2015, la Cour suprême du Canada a clairement défini et consacré le droit de tous les Canadiens à adhérer à un syndicat en déclarant que ce droit est inclus dans la section 2 (d) " Liberté d'association " de la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans l'OPAM[1] (Mounted Police Association of Ontario c. Canada [Attorney General]), la Cour a invalidé une partie de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale (LRTFP) et l'article 56 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada.

Au moment de la décision de la Cour, ces deux documents interdisaient effectivement aux membres de la GRC de former ou d'adhérer à un syndicat et de négocier collectivement.

Ce qui nous intéresse particulièrement au Yukon, c'est la partie de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale qui, selon la Cour, n'a " ni force ni effet ".

L'article 2(1) de la LRTFP fédérale définit les employés comme " une personne employée dans la fonction publique ", sous réserve d'une liste d'exceptions, exceptions qui comprennent les employés occasionnels, les employés occupant des postes de direction ou de confiance et les membres de la GRC.

La Cour suprême a déclaré que l'exclusion des membres de la GRC de la définition d'employé les soustrayait effectivement aux dispositions de la LRTFP fédérale en matière de relations de travail. La Cour a conclu que cela violait le droit à la liberté d'association des membres de la GRC en vertu de l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans sa décision de six contre un, la cour dans MPAO a noté que :

" L'article 2(d) protège trois catégories d'activités : (1) le droit de se joindre à d'autres personnes et de former des associations ; (2) le droit de se joindre à d'autres personnes dans la poursuite d'autres droits constitutionnels ; et (3) le droit de se joindre à d'autres personnes pour affronter, dans des conditions plus égales, le pouvoir et la force d'autres groupes ou entités ". Vu sous l'angle de son objet, l'alinéa 2d) garantit le droit des employés de s'associer de façon significative dans la poursuite d'objectifs collectifs en milieu de travail. Cette garantie comprend le droit à la négociation collective. La négociation collective est une condition préalable nécessaire à l'exercice effectif de la garantie constitutionnelle de la liberté d'association."

Et en outre

"Le gouvernement ne peut pas promulguer de lois ou imposer un processus de relations de travail qui entrave substantiellement le droit des employés de s'associer dans le but de poursuivre utilement des objectifs collectifs en milieu de travail. Tout comme l'interdiction d'association des employés porte atteinte à la liberté d'association, il en va de même pour un processus de relations de travail qui entrave substantiellement la possibilité d'avoir des négociations collectives significatives sur des questions liées au milieu de travail. De même, un processus de négociation collective ne sera pas significatif s'il prive les employés du pouvoir de poursuivre leurs objectifs. Quelle que soit la nature de la restriction, la question ultime à déterminer est de savoir si les mesures perturbent l'équilibre entre les employés et l'employeur que l'alinéa 2d) cherche à atteindre, de manière à entraver de façon substantielle la tenue de véritables négociations collectives."

Après avoir déclaré cela, la Cour suprême a poursuivi en statuant que :

 " L'objet de l'alinéa d) de la définition de " fonctionnaire " au par. 2(1) de la LRTFP, considéré dans son contexte historique, viole l'al. 2d) de la Charte. La LRTFP et, plus tard, la LRTFP ont établi le cadre général des relations de travail et de la négociation collective dans le secteur public fédéral. Une catégorie d'employés, les membres de la GRC, a, depuis l'adoption initiale de ce régime, été exclue de son application afin de les empêcher d'exercer leurs droits d'association en vertu de l'al. 2d). Le fait d'exclure une catégorie spécifique d'employés du régime de relations de travail afin de les priver de l'exercice de leur liberté d'association viole de façon inadmissible les droits constitutionnels des employés concernés."

Bien entendu, si la similitude de la décision MPAO avec la situation des employés occasionnels exclus de la définition d'"employé" est claire, la Cour suprême ne s'est pas prononcée spécifiquement sur le cas des employés occasionnels. Ce n'était pas la question dont elle était saisie à ce moment-là.

Cependant, une autre Cour s'est penchée spécifiquement sur la situation occasionnelle.

En juin 2009, six ans avant la décision de l'OMPH, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a statué sur une affaire qui lui avait été soumise par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et son Conseil des syndicats d'hôpitaux, ainsi que par plusieurs sections locales et employés occasionnels du SCFP[2].[2].

Le SCFP a intenté cette action après que plusieurs tentatives de négociation au nom des employés occasionnels aient été repoussées par le gouvernement du Nouveau-Brunswick qui a fait référence à l'exclusion des employés occasionnels dans la LRSPNB.

Le SCFP a soutenu que la Loi sur les relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick (LRTFPNB) violait les droits garantis par l'article 2(d) de la Charte (liberté d'association) en définissant le terme " employé " comme une personne employée dans les services publics autre qu'un employé:

"...(e) une personne employée à titre occasionnel ou temporaire, sauf si elle a été ainsi employée pendant une période continue de six mois ou plus."

Le SCFP a souligné que dans la LRSPNB, les unités de négociation sont composées d'"employés" et que l'exclusion des employés occasionnels a pour effet de priver ces derniers "...de tous les droits prévus par cette loi, y compris la liberté d'être membre d'une "organisation d'employés", de participer à des activités licites découlant de ce "droit" associé et d'être à l'abri de l'intimidation ou de la menace de congédiement dans l'exercice de ce "droit"".

Dans son jugement, la juge Paulette Garnett a conclu que "...l'exclusion des "occasionnels" de la protection de la LRTFP a eu pour effet de porter atteinte à leurs droits en vertu de l'alinéa 2d) de la Charte." Elle a reporté son ordonnance de 12 mois pour donner au gouvernement le temps de corriger la situation.

Face à ce jugement, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a décidé de ne pas faire appel de la décision de la Cour du Banc de la Reine et, en avril 2010, il a adopté une loi qui étendait les droits de négociation collective à tous les employés occasionnels dès leur premier jour d'embauche.

La situation au Yukon...

Au Yukon, lorsque la Loi sur la fonction publique du Yukon "LFPY" et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du Yukon "LRTFP" ont été adoptées, elles étaient essentiellement fondées sur la législation fédérale existante. Comme dans la législation fédérale, les employés occasionnels sont exclus de la définition d'"employé".[3] [4]

Cette exclusion, dans les deux lois du Yukon, prive essentiellement les occasionnels du droit d'être membres de tout agent négociateur représentant les employés du gouvernement du Yukon, de participer à ses activités ou d'être représentés par lui.

Parce que les employés occasionnels ne sont pas considérés comme des "employés", ils ne peuvent pas être couverts par la convention collective du Syndicat des employés du Yukon, ils ne peuvent pas déposer un grief ou contester un licenciement injuste. Parce qu'ils ne sont pas considérés comme des "employés", les occasionnels ne peuvent pas se joindre aux autres fonctionnaires pour négocier afin de défendre leurs intérêts et d'obtenir de meilleures conditions d'emploi.

Les conditions d'emploi d'un intermittent sont déterminées unilatéralement par le gouvernement (son employeur) par le biais de la réglementation, et non par la négociation collective :

Article 80 de la LPPSY : "Un occasionnel a droit aux conditions d'emploi établies conformément aux règlements et aux directives de politique émises de temps à autre par la commission."

Et

Article 87(1) de la LSJPA : "La commission a le pouvoir d'engager des employés occasionnels et d'établir leurs conditions d'emploi".

Dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du Yukon (LRTFP), les termes "organisation syndicale", "unité de négociation" et "agent négociateur" sont tous définis comme étant composés d'"employés" - ce qui, dans cette législation, exclut les occasionnels.

Au Yukon, les employés occasionnels travaillant pour le gouvernement du Yukon ne bénéficient même pas de la Loi sur les normes d'emploi du Yukon. La Loi sur les normes d'emploi inclut les employés occasionnels dans sa définition d'" employé " pour tous les autres lieux de travail, mais elle exclut spécifiquement toute personne travaillant pour le gouvernement du Yukon.

Cela fait plus de 13 ans que le tribunal du Nouveau-Brunswick a statué que les employés occasionnels doivent être considérés comme des employés dans leur Loi sur les relations de travail dans les services publics.

Cela fait presque 8 ans que la Cour suprême du Canada a rendu la même décision pour d'autres employés exclus de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale - les membres de la GRC.

Dans les deux cas, il a été déterminé que l'exclusion constituait une violation de la Charte des droits et libertés (section 2(d) - Liberté d'association).

Si l'on considère le Yukon, il semble que ce soit le bon moment pour commencer à remédier à l'injustice dont sont victimes les occasionnels qui travaillent pour notre gouvernement.

Il est temps d'obtenir pour le plus grand groupe de travailleurs précaires du Yukon le droit de se syndiquer et d'améliorer leur situation.

Il est temps d'obliger le gouvernement du Yukon à reconnaître le droit fondamental des intermittents à la liberté d'association.

Jim Crowell,
Syndicat des employés du Yukon
A/Conseiller principal en relations de travail


[1] Mounted Police Association of Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 SSCC 1, [2015] 1 S.C.R 3.

[2] C.U.P.E. c. Nouveau-Brunswick 2009 BBR 164, 2009 NBQB 164 Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick

[3] Loi sur la fonction publique du Yukon, Section 1.1 Interprétation

[4] Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du Yukon, article 1.1 Interprétation

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